Association Goélette

La manche

La manche pour les nuls.

 

Si je massacre Dylan sur une guitare, un harmonica, une guimbarde ou mes cordes vocales et que les passants me jettent une pièce, je ne fais pas la manche ; je vends mon art… et je trouble probablement l’ordre public.

Quand je parle de faire la manche, j’évoque une activité particulière qui consiste à prendre sans rien donner. Ce qui est extrêmement difficile, on finit toujours par lâcher un sourire, quelques mots ou simplement un remerciement. Donc, la manche pure, catégorique, kantienne en quelque sorte, n’existe pas.

Cette activité peut prendre diverses formes. Je peux aborder les passants pour leur demander un euro ou m’asseoir par terre avec une sébile improvisée et attendre.

En ce qui me concerne, je pratique cette dernière forme de mendicité. J’inscris sur une ardoise un petit descriptif de ma situation, je pose mon chapeau sur mes genoux et j’attends.

En fonction du temps, de l’heure et du jour de la semaine (les mercredi et les dimanches sont haïssables), cette attente dure entre cinq et trente minutes. Là, une pièce, plus rarement un billet, tombe. Entre midi et quatorze heures, il arrive également que des hamburgers tombent, ce qui n’est pas à négliger.

Après un laps de temps variable (entre deux et sept heures), je me lève, je ramasse mes pièces et je vais les changer en billets chez un commerçant (la plupart du temps, un bureau de tabac).

Cette longue attente, pour tout dire ennuyeuse, est rompue parfois par une petite discussion qui débute souvent par un exposé de ma situation… mais pas toujours. Une fois que des liens sont créés, on peut parler de tout.

Combien peut-on espérer gagner en faisant la manche ? Entre deux et vingt euros de l’heure… avec une moyenne à huit euros… et le lieu où l’on se trouve n’y change pas grand-chose. Maintenant, c’est une moyenne et il arrive, mais rarement, qu’une ou deux heures passent sans que la cagnotte n’ait augmenté. Egalement, il arrive que cinquante euros tombent en cinq minutes… ce qui est encore plus rare.

Qui donne ? D’après mes statistiques, les femmes donnent plus souvent mais de moins grosses sommes. Les jeunes donnent moins que les seniors et les touristes ne donnent pour ainsi dire pas (deux ou trois euros par mois).

Maintenant, vous devez vous dire que ce n’est pas si mal : huit euros par heure, huit heures par jour et trente jours par moi, ça fait quand même 1920 € par mois net d’impôts. C’est mieux que d’aller à l’usine.

Vous commettez une erreur car les inconvénients sont plus nombreux que les avantages.

Tout d’abord, il y a l’insécurité. Pas question d’être malade… du moins, malade ou non, faut y aller… blessé ou non, faut y aller… frileux ou non, faut y aller… étanche ou non… vous avez compris le truc.

Pas question non plus de croire qu’on va être tranquille. Même si la mendicité découle d’un certain nombre de droits constitutionnels, la police ne semble pas le savoir. Alors, il faut parfois bouger… ou argumenter… ce qui signifie perdre son temps. Et puis, il y a des passants agressifs ou vindicatifs… faut gérer en douceur car, face à la loi, le mendiant aura rarement raison… à l’autre bout du spectre, il y a le passant très gentil mais qui a besoin de dire ses problèmes et qui reste là à parler… longtemps… longtemps… Ca n’a l’air de rien mais il faut savoir que ça divise le nombre de dons par beaucoup… autrement dit, vous descendez à un ou deux euros de l’heure.

Autre inconvénient, le relationnel. Il y a des personnes très sympathiques avec lesquelles on discute dans la rue mais, pour la plupart, vous ayant vu mendier, elles ne vous embaucheront pas si vous cherchez un travail… et auront plus de mal à vous accepter comme petit(e) ami(e)… réfléchissez-y bien… c’est très important : en vous asseyant par terre, vous passez dans un autre monde que peu de personnes comprennent ou soient prêtes à intégrer au leur.

Je déconseille toutefois au mendiant débutant de sortir sans préservatif, vous en aurez beaucoup plus souvent besoin que vous ne l’imaginez. Mais, ça ne va jamais bien loin et ne représente pas une bonne base pour établir des relations durables.

Autre choses, les dingues. Vous découvrirez vite qu’il y une foultitude de dépressifs, schizos, paranos et autres dingues qui traînent dans les rues et s’ennuient ferme… comme vous. Et, comme vous êtes disponible, ils vont venir vous voir. Au début, vous pouvez ne pas remarquer leur disfonctionnement… mais bientôt, vous vous demanderez comment vous en débarrasser (toujours en douceur, n’oubliez pas). Quelque soit votre talent, sachez qu’il vous prendront du temps et, souvent, finiront par vous agresser verbalement ou physiquement.

Une dernière chose avant de vous quitter pour aller faire la manche, dans la mesure du possible, n’emmenez pas toutes vos possessions avec vous (il y a de la fauche dans la rue). Pour ma part, j’ai un sac dédié qui contient deux oreillers, pour m’asseoir pas trop inconfortablement, mon ardoise, un poncho en plastique pour le cas où il pleuvrait et de quoi écrire… c’est important, on vous donnera dans la rue un tas d’informations qu’il serait dommage de négliger afin de pouvoir, au final, en sortir.

Sur ce je vous laisse ; il fait gris, il va pleuvoir, je suis fatigué, mon dos me supplie de rester allongé… mais je suis pauvre.

 

Alain le poete ( ancien SDF et bénévoles de Goelette)



09/07/2012
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